L’autonomie des exploitations, une affaire de compromis et de patience
L’Académie d’agriculture s’est penchée sur les enjeux de l’autonomie des exploitations agricoles lors de son colloque annuel. Des agriculteurs ont aussi pu faire un retour d’expérience riche d’enseignements.
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L’autonomie des exploitations agricoles est un concept qui séduit nombre de producteurs aujourd’hui. Réunie à Paris le 7 février 2024 à l'occasion de son colloque annuel, l’Académie d’agriculture a tenté de mieux définir un terme parfois galvaudé mais surtout de comprendre ce que ça implique pour les agriculteurs engagés dans cette démarche.
Invité à intervenir, Philippe Boullet, directeur du pôle performance et perspective du Cer France, l’a rappelé d’emblée, « l’autonomie n’est pas l’autarcie ». Lui qui s’est focalisé sur la branche économique de cette démarche explique que l’isolement de l’exploitation n’est pas une option. « L’entreprise agricole a besoin d’avoir des moyens qui soient compétitifs et qui soient flexibles et pour y parvenir il faut sortir du pré-carré de l’exploitation » et de préciser : « l’autonomie s’accorde avec des coopérations. Si je me pense meilleur parce que je suis autonome en disposant de tous les moyens, en général ce n’est pas vrai », analyse-t-il.
Choisir ses priorités
Reste que l’autonomie est difficile à mesurer, surtout le volet économique. « Nous comparons une intention à une autre », explique Philippe Boullet. Pour chercher la valeur qui permettra à l’agriculteur d’être plus autonome, il identifie plusieurs voies. Par le volume et la performance pour plus de compétitivité, par un changement de système qui donnera accès à de meilleures conditions contractuelles via une labélisation ou encore par l’engagement plus profond dans la chaîne de valeur.
Mais Philippe Boullet insiste, il ne faut pas attaquer tous les fronts sous peine de mettre à risque la bonne santé économique de son activité. « L’exploitation conventionnelle ne peut embrasser toutes les transitions d’un coup », a-t-il affirmé. « Conserver son autonomie, c’est avoir des marges de manœuvre. Etre tout le temps capable de faire face à mes engagements financiers, rémunérer la main-d’œuvre et conserver quelque chose pour relancer la machine », analyse-t-il.
Le terrain pour illustrer
La recherche d’une plus grande autonomie, c’est ce que Marie-Françoise Brizard-Pasquet a choisi lorsqu’elle s’est installée avec son mari il y a une vingtaine d’années en Mayenne. En préambule, l’éleveuse et membre de l’académie prévient : « Je ne parle pas d’un modèle à suivre, mais d’un système qui fonctionne. » D’une ferme céréalière à bout de souffle et d’une autre en polyculture-élevage classique, le couple a regroupé les exploitations et transformé le système. Elle fait plusieurs constats sur le fonctionnement de la ferme. « La question qui nous a animés, c’est la question des dépendances comme au soja importé où à l’azote minéral. Mais aussi des rendements qui stagnaient, des sols dégradés et les besoins en énergie qui augmentaient », a-t-elle relaté.
S’ensuivent beaucoup de changements dans la ferme laitière. Une hausse significative des légumineuses dans l’assolement, le développement de techniques de conservation des sols, une conversion en bio et la vente d’une partie des bovins en direct. « La vente en circuit court a servi de stabilisateur », a expliqué Marie-Françoise Brizard-Pasquet. Les surfaces étant désormais largement réservées à l’autoconsommation, il n’y a quasi plus de vente de céréales à l’extérieur. « L’idée est de raisonner à la rotation. Regarder sur cinq ou six ans l’alimentation et l’autofertilité générés par notre travail », a-t-elle témoigné.
Un objectif à long terme
Et s’il a fallu beaucoup de temps, le résultat est là. « Après 23 ans, on n’achète plus d’aliments protéinés (juste un peu de lin extrudé pour les vaches les plus productrices), on n’achète plus d’engrais azotés, plus de phytopharmacie », a-t-elle listé. Et pour illustrer le fait qu’il est compliqué d’envisager une autonomie totale, Marie-Françoise Brizard-Pasquet et son mari n’ont pas cherché à développer le volet énergétique au-delà du bois produit par les haies. « Ce n’est pas un axe que nous avons travaillé, il n’y a pas un panneau solaire chez nous. Nous n’avions ni les moyens, ni le temps », a-t-elle justifié. Un écueil toutefois pour la cheffe d’exploitation, la mauvaise prise en compte économique de l’impact positif sur l’environnement d’une telle démarche : « Tant que l’on ne comptabilise pas les services environnementaux, on ne sera jamais bons. »
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